Le communisme est toujours bien présent dans la vie de tous les jours : culte du leader Hochi min, messages du parti au petit Dej dans les haut parleurs à chaque croisement, drapeaux rouges et jaunes qui flottent partout. Quelques fois une foscille et un marteau s'y invitent. Lénine et staline s'incarnent en statue ou en nom de place... Pendant que les mc do gagnent de nouvelles adresses dans les artères principales. Dans la rue les affiches de propagande ont un gout désuet. On a comme l'impression d'être plongé dans un manuel d'histoire-géo de troisième. Couleurs pastels, colombes, drapeaux et invariablement des personnages censés représenter chaque couche de la société. Ces héros, le menton haut, le buste en avant lancent des regards plein d'espoir vers l'horizon. Ces panneaux ont un petit coté anachroniques, "good bye lénine" quand sur le mur d'en face, le whooper s'étale en 4 par 3 avec formule cheese fondant pour seulement 75000 dongs
On a tendance à dire que le coq chante au lever du soleil. C'est complètement faux ! Il chante tous les quart d'heure de 16h à 11h le lendemain et s'accorde une petite sieste après le déjeuner pour ne pas qu'on le rôtisse de suite. Il chante toute la nuit, absolument toute, sans même prendre le temps d'élever ses poussins ou de se trouver un job. Pour être précis, il crie davantage qu'il ne chante dans un débordement vocal qui relève souvent plus de la mue adolescente que du baryton. A noter que le coq vietnamien fait ah ahah aaaaah et non cocorico car les animaux aussi ont droit à leur dialecte. La seule consolation après deux jours de cohabitation est de se dire qu'il finira en plat en sauce.
On passe par le marché où notre guide française nous fait comprendre qu'on choisi la bouffe du soir qu'on devra cuisiner. On prend un poulet vivant jusqu'à ce qu'on se demande si on ne va pas devoir le tuer et le plumer. On évite les étales de porc frelatés et d'anguilles grouillantes.
On arrive dans notre dernière maison où un papi nous accueille en souriant. Dedans le sol en osier s'enfonce sous nos pas.
Dehors, une jolie vue sur la rivière noire dont les iles sont dégarnies à la base.
Thaïs joue aux dominos avec les enfants pendant que je pèle des légumes. Puis le papi enfile un foulard pour entamer un collin Maillard.
Avant de dormir, expédition toilettes où nous accompagne une luciole. J'éteins la lumière: - Regarde Thaïs comme c'est joli ! - Ah oui ! - Et puis, oh regarde, même quand elle passe derrière le miroir on la voit encore briller ... Ah ben non là elle a arrêté de briller. Je rallume. Derrière le miroir, il y a un lézard albinos. Le lendemain matin, nous avons à peine temps d'aider papi qui s'échine avant que le soleil soit haut et de prendre deux photos qu'il est déjà temps de rentrer sur Hanoï et de boucler notre périple des souvenirs plein la tête.
Instruments requis : une brindille de plante assez rigide, un peu de patience, beaucoup de doigté.
Eplucher une brindille de feuille longue et plate jusqu'à ce qu'elle soit à son extrémité aussi fine que possible. Avec cette canne à pêche-fouet, assommer un bébé libellule puis l'embrocher sur la feuille. La faire tourner autour d'autres libellules. Profiter de leur cannibalisme pour les attraper dès qu'elles se posent dessus. Les attraper par les ailes pour les regarder un moment et les relâcher comme un lancer de colombes.
On dormirait par terre si nos hôtes n'avaient pas rajouté pour le confort une couverture de l'épaisseur d'un pansement. Les coussins sont des sacs de farine joliment enveloppés dans des tissus à fleurs. La moustiquaire n'est pas trouée cette fois ci mais la nuit reste courte et le matin vient plus tôt que jamais. Embrumé, je sors dans le village. Le village coiffé de monts embrumés. Un petit qui marche à peine sort d'une maison, traverse la route et va s'accroupir entre deux buffles. WC écolos. Il n'y a pas foule mais pour 5h45 ya quand même du passage. Des coursiers en scooters klaxonnent déjà pour livrer des marchandises. Les coqs ne sont toujours pas aphones.
On part en balade à pied. - Ca dure 3h30, nous prévient notre guide. - Mais c'est plat ou c'est en pente ? - non, non c'est plat ! Ouf, se dit on naïvement. Après 1000 mètres de dénivelé positif, on se dit qu'on a été très naïfs. Mais le spectacle en vaut le peine, face à nous des rizières en terrasses. Un échiquier à riz, un puzzle de flaque d'eau qui joue avec les couleurs : certaines parcelles vert clair surchargées de pousses, d'autres marrons, presque vides et qui servent de miroir pour les nuages.
Au bout de la grimpette et après trois infarctus et deux comas, on arrive enfin au point de rendez vous. Mais les portables ne passent pas alors on va attendre une heure sous un figuier local. Le temps pour Hyo, notre hôte de la veille de nous introduire à la pêche aux libellules.
La nuit est courte, le sol un peu trop rigide pour mes épaules viriles. Je me retourne un bon millier de fois, crêpe carbonisée. Sur la route vers le marché aux tissus de la tribu des taï noirs, une autre T(h)aï(s) (ma fille) : Papa, ton vélo il a plus de pile. C'est parce qu'on va doucement que je dis ça.
Sur le bord des routes, des étales de viande à ciel ouvert et sans réfrigération. Alors pour chasser les mouches, un épouvantail de fortune tourne en boucle. Une baguette en fer posée sur un moteur de ventilateur. A chaque extrémité de la baguette en fer, des bouts de tissus. Une machine à claques pour les diptères.
Les gens sont toujours aussi souriants dès que Thaïs entre dans leur champ de vision. Une mamie nous ouvre sa barrière pour qu'on puisse voir de plus près ses buffles. On croise leurs regards apeurés. Allons allons, de grands bestiaux comme vous qui ont peur de la ptite bête ? Ca ôte de leurs épaules les dernières miettes de virilité. Les rizières en terrasse dégoulinent tendrement. Comme un jeu de plateforme des 80's. Comme un labyrinthe aquatique à étage.
On arrive dans un nouveau village. La couleur change mais la taille reste la même. Taï noirs. Ici même notre guide ne peut pas tout traduire car les enfants se parlent dans un dialecte des montagnes.
Et le soir au repas, on me parle dans les yeux pendant de longs moments avant que ma guide ne traduise : Rendez vous en terre inconnue. On va se baigner à la rivière et un groupe de gamins hésite entre curiosité et appréhension. Après quelques tours de magie assez médiocre, ils nous suivent à travers le village comme une portée de canetons. Les filles restants à l'écart, je finis par organiser une sorte de rugby avec quelques garçons. Pour les règles je fais au plus simple mais ça reste compliqué sans les mots alors Charlie Chaplin entre en moi et ca marche. On s'amuse une bonne heure entre les pilotis des maisons, les ballons à aller chercher dans le potager du voisin, le buffle qui passe au milieu du terrain et y laisse un petit cadeau. La nuit tombe avec la pluie et mes moineaux s'enfuient. Il ne reste que le plus téméraire, celui qui m'a lancé de l'eau à la rivière et qui se cachait derrière de grosses feuilles de bananier en sachant que je le voyais. Quand notre guide lui explique que je lui donne le ballon, c'est noel dans son sourire. Et il file entre les gouttes de pluie.
Thaïs marche comme un légionnaire romain. Râle un peu dans les montées, descend comme un dromadaire (tm) dans les descentes. Elle évite les ravins, plie les brindilles sous ses semelles, baffe les moustiques. Mais elle se fait porter un peu quand même, faut pas pousser. On passe entre des rizières où de grands rochers émergent comme dans une baie d'Along.
Après une longue marche pour atteindre un village de taï blancs, on se pose devant un thé vert dans le jour qui décline. On papote dans notre anglais limité avec Rachel, Crio et Lotte, nos partenaires de rando quand on entend le bruit mat d'un fruit trop mur qui s'écrase sur la table. Mais les seuls fruits qui tombent des terrasses couvertes, ce sont les geckos. Un bébé lézard pas encore bien accroché ou un papa trop éloigné du vol agile d'un moustique. Toujours est il que le reptile fonce dans ma direction, me soutirant une grimace dans une position de repli embryonnaire qui ôte de mes épaules les dernières miettes de virilité qui s'y accrochaient encore.
Les maisons de cette région sont sur "pilotis" (en vietnamien dans le texte) d'abord parce que la saison des pluies recouvre tout en quelques minutes, mais surtout parce qu'avant les accords de Yalta, il y avait encore des tigres ici. Ça permet de relativiser les chutes de lézards. On se couche dans une maison-cochon comme l'appelle Thaïs car "elle a des pattes". On se réveille au milieu des rizières.
Les grillons et les cigales pour le décor, Les grenouilles qui se gonflent et qui nous gonflent, Les coqs (bande de bâtards), Les chats qui braillent comme des chats en chaleur mais qui en fait on juste faim, Les cochons qui reniflent, Les oiseaux en tous genres qui piaillent pointu, Les geckos qui dispersent une sorte de pouet pouet comme quand on appuie sur le ventre de Sophie la girafe, Les messieurs qui se raclent la gorge avant de cracher, Toutes sortes de bruits indéfinissables.
Debout à 5h30. C'est pas pour rien que les matelas à ressort, ça se fait plus depuis les années 80. J'ai le dos de travers. Mais notre cuisinier dort sur la table en verre du salon donc on va éviter de se plaindre. Je grimpe sur le pont pour voir si les transat sont plus confortables.
Réveil sous la pluie dans la baie d'Along. Mais pas une pluie triste, pas une pluie maussade. Juste une douche matinale. Pas un brin de vent, les drapeaux vietnamien débandent, sont en panne éolienne. Pas une vaguelettes à la surface de l'eau, juste les ronds des gouttes qui essaient en vain de remplir la mer. La marée basse a découvert une plage au pied d'un rocher. Les oiseaux chantent six heures en réveil matin.
On repart plan plan, moteur en sourdine entre les rochers feuillus. Le ciel est lourd mais garde pour l'instant la gorge sèche . Le grincement des cigales en fond sonore, le croassement des corbeaux pour nous habiller l'oreille.
On attend notre bateau sur l'un des petits port de cat ba. Phuc, notre guide fume une cigarette. Ça se prononce fo et son prénom, c'est phuc, c'est vrai ? Nous on se cache derrière un poteau car le soleil nous soutire déjà des rivières de sueur.
Pour la facture carbone, on repassera : une péniche de 20 mètres avec des chaises longues sur le pont supérieur. Rien que pour nous ! On savoure la brise marine et le panorama alentour.
En sortant du port on voit un "bateau boite de nuit", une cinquantaine de lampes accrochées à une armature en fer. C'est un bateau de pêche. De pêche au squid(sèche), ce papillon (pour ne pas dire car abruti) marin est irrépressiblement attiré par la lumière alors on se balade dans les eaux opaques de la nuit Alongienne et bim ! Un coup de flash ! Les seiches par la lumière alléchées remontent en surface et il n'y a plus qu'à sortir les épuisettes. Pourtant : Ma mère m'avait prévenue, méfie toi des ampoules nues, Ne t'approches pas de ces globes, Qui mettront l'feu à ta robe. Les papillons insomniaques, y trouvent un aphrodisiaque, La mort est au rendez vous, au mieux tu deviendras fou.
Thomas Fersen - Pégase
Les cigales bruissent et font vibrer les montagnes de calcaires. Une tortue, un chameau, un bouddha couché. Chacun y voit ce qu'il veut. Comme dans le coton des nuages ou le marc de café. Mais elles ont toutes en commun l'amour de la rondeur. Des têtes bien faites ébouriffées de vert, des poitrines gonflées.
Ça est là du polystyrène, des sacs plastiques ternissent la beauté des lieux. On avait été prévenus et on a pu observer que l'écologie n'est pas encore prioritaire pour les vietnamiens qui n'hésitent pas à jeter des sachets de chips dans le mékong.
On descend dans les kayak et on pagaie entre les îles flottantes.
On passe sous la bat cave (aucun lien avec Gotham city) que Thaïs renomme la bouche du monstre tant il est vrai que les stalactites nous donnent l'impression de se jeter dans une gueule béante.
Un peu plus loin, dans une grotte où on est obligé de se coucher dans notre canoë pour ne pas se faire scalper. Au sortir, un lagon tout en rondeur et au beau milieu, plantés comme des cierges, Teo le barbu et Sacha le grand blond. Au beau milieu de nulle part. On continue le jeu de chassé croisé. Après avoir partagé la couche dans un car, un repas à Hué on les recroise dans un trou de souris. A peine le temps d'apercevoir un singe à flanc de falaise et d'échanger quelques impressions de voyage que nos fils tressés se séparent de nouveau.